L'aéronautique atterrit au Maroc


Par Le Journal Hebdomadaire, le 29 Avril 2006

Au premier regard, le monde de l'aéronautique pourrait apparaître d'une grande simplicité. Une situation commerciale on ne peut plus claire, où deux groupes s'affrontent, Boeing, le géant américain et Airbus, le consortium européen. Deux constructeurs aéronautiques qui se livrent depuis des années une guerre sans merci. Une véritable guerre de titans qui semble se jouer à coup de millions de dollars dans les grandes capitales économiques occidentales, bien loin d'ici.



Et pourtant, une lutte économique et industrielle dans laquelle le Maroc commence progressivement à jouer un rôle. En effet, il est désormais évident qu'il existe dans le royaume une solide tendance à l'installation d'usines spécialisées dans l'industrie aéronautique. Un phénomène qui est bel et bien une des conséquences, somme toute logique, de la course infernale à la réduction des coûts à laquelle se livrent les deux groupes. Et dans ces opérations d'externalisation des tâches et de délocalisation des sites de production, il semble que le Maroc attire de plus en plus ce type d'industriels. Si bien qu'on dénombre aujourd'hui près d'une quinzaine d'équipementiers, constructeurs et autres industriels du secteur sur le sol marocain.

La plupart d'entre eux appartiennent d'ailleurs au groupe Safran, installé au Maroc depuis 1999 et producteur des moteurs Snecma qui équipent de nombreux appareils des flottes commerciales d'Airbus et de Boeing. C'est le cas de Matis (qui fabrique des kits de câblage), d'Aircelle (qui produit et suit le montage des nacelles) ou encore Teuchos qui conçoit, contrôle et accompagne la production grâce à ses bureaux d'études spécialisés. D'autres groupes comme Dion, Creuzet, Souriau, Sefcam, Selha ou OB Electronique se sont également installés ces dernières années dans le domaine de l'aviation. C'est donc une partie importante de la chaîne de production aéronautique ("supply chaîne") qui est désormais basée sur le territoire marocain, une production orientée le plus souvent sur des composants standards utilisés aussi bien par Boeing que par Airbus.

70% moins cher
Comment alors expliquer cet engouement soudain des industriels pour le Maroc ? « Un manutentionnaire marocain coûte 70% de moins qu'un Français », assure un responsable du secteur et donc le coût de la main-d'œuvre avec les économies importantes qu'elle entraîne. Sa flexibilité aussi. Vincent Caro, directeur général de Matis, le reconnaît d'ailleurs : "les contraintes sociales ont séduit les investisseurs". Temps de travail plus long, absence de syndicats puissants, nécessité absolue d'avoir un emploi, adaptation… autant d'avantages qui n'ont pas laissé indifférents de nombreux industriels au moment de choisir leur nouveau lieu d'implantation.

Les entreprises peuvent ainsi bénéficier d'une exonération de cinq ans sur l'IS, puis d'une réduction de 50 % sur le même impôt durant les trois années suivantes du fait que ce type d'activité est basé sur l'export de produits semi-finis (l'assemblage final des appareils étant effectué en Europe). Mais l'administration ne se contente pas de favoriser l'arrivée de grands groupes étrangers. « favorise aussi les entrepreneurs marocains », explique M. Rossoni, directeur général d'Aesi, anciennement AAA Maroc. Grâce à l'origine marocaine de son capital social, son entreprise a ainsi pu démarrer sa production dans le délai extrêmement court de six mois. OB Electronique (qui conçoit les cartes destinées à accueillir les composants des tableaux de bord) a, quant à elle, réussi à racheter l'activité de son client principal, Selha (une entité à 100% française). Une opération peu courante pour une entreprise marocaine mais qui s'est révélée possible grâce à l'importance des bénéfices qu'elle a pu réaliser dans ce secteur.

Pas de production de pointe


Cependant, cette embellie ne doit pas faire oublier les risques qui planent toujours sur la progression de l'industrie aéronautique dans le royaume. En premier lieu, peut-être parce que, selon les dires d'un responsable du secteur, il semble que l'ossature industrielle marocaine en matière d'aéronautique n'accueille pas encore "de chaîne de production de pointe". Les techniques de fabrication, autant que les qualifications requises sont "semblables à celles du textile".

Et même si l'usinage de haute précision semble se développer au sein du groupe Dion, ou encore l'ingénierie de certains composants comme le fuselage (Sefcam, Aesi), les parties les plus complexes des avions ne sont pas fabriquées au Maroc. En outre, comme l'affirme Bernard Buisson, directeur général de Selha, « près de 100 % de la matière première et de l'outillage sont importés ». Par conséquent, la valeur ajoutée n'est "générée que par la main-d'œuvre bon marché". Au final, on pourrait presque dire que l'industrie aéronautique marocaine exporte sa production à 100% après avoir importé 100% des moyens pour la réaliser.

Qui plus est, il existe encore, selon plusieurs cadres étrangers venus travailler ici dans ce secteur, de petits freins à la stabilisation d'une productivité intéressante, comme la mauvaise maîtrise des langues occidentales (anglais et à un degré moindre le français), ou le "manque de ponctualité" des ouvriers. Autant de petits dysfonctionnements qui peuvent nuire au développement et à la compétitivité de ces industries. Plus inquiétant, selon Vincent Caro, « le Maroc est en concurrence avec l'Asie », notamment avec la Chine. Même si cette destination reste à ce jour et malgré une main-d'œuvre nettement plus compétitive, encore peu privilégiée en partie du fait de son éloignement géographique par rapport aux autres sites de productions et d'assemblage.

Mais demain, si la formation des différents techniciens ne suit pas dans l'ensemble du pays, le Maroc court le risque de ne plus faire partie des destinations incontournables de la production aéronautique. Et M. Caro d'ajouter "d'ici quelques années, les industriels seront face à ce dilemme : conserver leur position au Maroc ou se tourner vers une Asie de plus en plus compétente et de plus en plus agressive en termes de coûts".

Une menace réelle donc, qui ne pourra être contrée que par une amélioration significative de la formation nationale dans ce secteur d'activité notamment. Une nécessité même, pour augmenter encore un peu plus la satisfaction des entrepreneurs (marocains ou étrangers) installés au Maroc.


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